- FRANQUISME
- FRANQUISMELe général Franco est un des chefs d’État contemporains dont le nom a fourni par dérivation un terme d’usage commun. L’Espagne, pendant près de trente-sept ans, a été à bon droit appelée l’Espagne franquiste. Mais est-il légitime d’aller plus loin et de donner un sens propre au substantif franquisme?En tout cas on ne peut pas employer ce terme comme on le ferait par exemple de «monarchie constitutionnelle» ou «démocratie parlementaire». En effet, le franquisme désigne à la fois une forme de régime et la coloration que lui donne une personne déterminée. Il est l’œuvre de Francisco Franco.Ce chef est un militaire qui a l’habitude de commander. C’est un Galicien patient, rusé, dissimulé. C’est un homme habile qui sait négocier et imposer ses vues. Toutefois ce n’est pas un penseur. Ses discours et ses écrits sont composés de slogans, de lieux communs, d’affirmations péremptoires; et ils ne proposent aucune idée politique nouvelle. Le franquisme n’est pas une doctrine, parce que son maître n’était pas un doctrinaire, et parce que l’Espagne qu’il gouvernait avait besoin, selon lui, d’une direction et non pas d’une doctrine.Le régime franquiste est de fait dictatorial: c’est la volonté d’un homme qui a valeur de loi, sans qu’il y ait à côté de lui d’autres pouvoirs capables de contrebalancer le sien et de contrôler l’usage qu’il en fait. Ce pouvoir est allé jusqu’au choix de son successeur, en juillet 1969, et, les mécanismes mis en place ayant fonctionné sans défaillance, le prince Juan Carlos est devenu roi d’Espagne.1. Le général FrancoSi l’Espagne est devenue franquiste après la guerre civile, c’est parce que celle-ci a été gagnée par le général Franco. Il n’en a pas à lui seul pris l’initiative, mais il a été rapidement porté à la tête de ceux qui l’ont préparée et voulue, aussi bien par les circonstances que par son passé et par sa tenace ambition. Pendant la guerre, il s’assure le rôle prépondérant, surtout après avoir sauvé les cadets assiégés dans l’Alcazar de Tolède. À partir de ce moment, il tient la première place dans les dépêches des agences de presse comme dans la réalité du pouvoir en zone nationaliste. Il est le chef, et le contrôle total de l’Espagne est pour lui le fruit de sa victoire.La guerre a éliminé ses concurrents possibles: d’abord les chefs républicains et les leaders d’avant 1936, mais aussi les militaires qui avaient initialement pris la tête du soulèvement, le général José Sanjurjo Sacanell, puis le général Emilio Mola Vidal. Elle a éliminé également les fondateurs de la Phalange, Onésimo Redondo et José Antonio Primo de Rivera. Parmi ceux qui survivent, Franco s’impose facilement: si quelques-uns restent à ses côtés mais semblent devenir gênants, ils sont écartés.Le chef unique a donc toute latitude pour mettre en place, en peu d’années, un système d’institutions qui assure sa prééminence et qui concentre entre ses mains tous les pouvoirs. Le système est proprement monarchique. En 1947, le terme même de monarchie apparaît dans le texte de la loi de succession, qui devient la clef de voûte de l’édifice institutionnel.Même après avoir désigné le prince Juan Carlos comme son successeur, le général Franco reste ce qu’il est depuis 1939: l’auteur et le garant des institutions, celui qui choisit les titulaires de toutes les charges, y compris pour la charge suprême, celui qui a pouvoir de décider et d’exécuter en même temps que celui qui légifère. Il est en outre le généralissime de l’armée, le protecteur de l’Église catholique et le chef du mouvement qui a l’exclusivité de la représentation politique. La place exceptionnelle accordée à une personne est apparemment l’essence du franquisme. Les qualités ou les faiblesses de Franco, sur lesquelles les biographes insistent au gré de leurs préférences politiques, n’entrent pas ici en ligne de compte. Il en est de même de l’âge, semble-t-il: né en 1892, le caudillo a soixande-dix-sept ans lorsqu’il se décide à nommer celui auquel il laissera un jour sa place. Mais rien n’indiquait qu’il voulût, de son vivant, partager avec celui-ci son pouvoir, de quelque manière que ce fût.2. Le franquisme est-il une doctrine?Le franquisme aurait pu être une doctrine si la Phalange avait pris dans le nouvel État espagnol la place qui lui semblait promise au commencement de la guerre civile. Elle possédait en effet une idéologie, directement inspirée du modèle fasciste et sans grande originalité, dont les valeurs principales étaient le culte de l’État et de l’autorité, le respect de la hiérarchie, la négation de la lutte des classes et la foi dans une organisation corporative de la société. Elle semblait proposer une réponse aux problèmes de l’Espagne, offrir un cadre aux énergies des jeunes Espagnols, promettre aux travailleurs la défense de leurs droits et aux patriotes la grandeur de leur nation. De fait, à ses débuts, elle se montra capable d’attirer des adhésions et de susciter des enthousiasmes.Le décret d’unification d’avril 1937, par lequel Franco érige la Phalange en parti unique en lui incorporant le mouvement traditionaliste des requetés navarrais, semble consacrer sa suprématie et en faire l’armature du nouvel État. En réalité, il s’agit de tout autre chose, et proprement d’une confiscation. En donnant cette position privilégiée à la Phalange, Franco, qui prend la précaution de s’en déclarer le chef, l’insère dans son système et lui assigne une place déterminée et limitée. La Phalange sera désormais l’instrument du pouvoir franquiste. Elle conserve son programme en vingt-six points, mais le préambule même du décret d’unification précise qu’elle est un mouvement plus qu’un programme: mouvement vers l’édification de l’État nouveau, vers la glorification de celui qui est à sa tête. Bien plus tard, en 1958, une loi fondamentale sur les principes du mouvement fait de ceux-ci le credo officiel de l’État; mais c’est là une simple satisfaction de principe accordée aux vieux phalangistes évincés des responsabilités politiques, et elle ne suffit pas à combler le vide idéologique du régime. Il est au demeurant normal que Franco ait relégué à l’arrière-plan une idéologie qui l’aurait assujetti, en faisant de l’État ou du parti la norme suprême. Pour le franquisme, la norme c’est Franco lui-même. Aussi le franquisme fut-il avant tout une pratique.3. Une méthode de gouvernementIl n’a pas manqué de théoriciens empressés pour justifier en droit le privilège détenu par le général Franco, c’est-à-dire son pouvoir absolu. Son titulaire aurait bénéficié d’une grâce personnelle, et le principe de sa légitimité aurait été charismatique. On a repris pour la circonstance l’ancien mot de caudillo , servant jusqu’alors à désigner un chef dont l’autorité de fait reposait sur la force, et on a bâti une théorie du «caudillage». Celui-ci ne saurait être que de droit divin: des monnaies, plus durables que des textes juridiques, affirmaient que Francisco Franco est caudillo d’Espagne «par la grâce de Dieu».Encore fallait-il que ce pouvoir fût accepté. Nul doute qu’il ne le fut, et même par la majorité des Espagnols... de ceux du moins qui avaient survécu aux opérations de la guerre civile, à la répression qui a suivi la victoire et à l’exil qui a sauvé les fidèles du régime précédent. Il s’agit donc d’une dictature par consentement tacite de la majorité. Le régime n’a été systématiquement répressif que pendant un nombre limité d’années. Par la suite, il a suffi de quelques manifestations isolées de sévérité pour rappeler à la masse les mérites du silence et de la passivité.Lorsque meurt le général Franco en 1975, les enfants de ceux qui ont fait la guerre civile sont à l’âge d’homme et l’exemple des autres pays européens les pousse à donner de la valeur aux idées de liberté ou de participation. Mais il est vrai également que la rapide croissance économique du pays a embourgeoisé bien des Espagnols, et les a attachés à un ordre qui préserve les avantages acquis en leur ouvrant l’accès à la société de l’abondance et des loisirs. C’est ainsi que la docilité des sujets se trouvait globalement assurée, bien que, à partir des années 1960, les agitations et les contestations se fissent de plus en plus nombreuses. En même temps le monarque se prémunissait contre un danger plus sérieux, celui de passer sous le contrôle d’un des groupes de ses partisans: les phalangistes, les néo-phalangistes, les monarchistes, les catholiques conservateurs, les hommes d’affaires, les technocrates de l’Opus Dei... C’est ici que se révèle le génie politique du caudillo. Celui-ci, en effet, a toujours su équilibrer les tendances les unes par les autres, neutralisant à chaque fois la plus forte d’entre elles par une coalition occasionnelle de ses rivales, et faisant de sa propre personne l’arbitre toujours indispensable. C’est ainsi qu’il a pu édifier une dictature pluraliste, et non pas totalitaire. Des auteurs comme Maurice Duverger emploient à son propos l’expression de «dictature paternaliste»: le père de famille qui subvient aux besoins de ses enfants peut en effet se contenter d’arbitrer leurs querelles sans avoir à leur imposer violemment son autorité (sauf à punir un récalcitrant) et peut promettre à chacun son héritage sans avoir, de son vivant, à partager son patrimoine.4. Le franquisme sans FrancoLa perpétuation du franquisme dépendait dans une certaine mesure du roi, mais plus encore des franquistes. Ceux-ci étaient fort divers; seule la présence de Franco les empêchait de s’opposer trop ouvertement les uns aux autres. Quelques-uns étaient des fidèles inconditionnels du chef qui, à leurs yeux, avait sauvé l’Espagne, d’autres, en revanche, étaient dévoués au régime parce que celui-ci leur avait donné leur position, leurs prébendes ou leurs privilèges.Restent ceux pour qui le franquisme n’a été ni une croyance ni une temporaire sauvegarde, mais seulement un instrument dont ils se sont servis. Il s’agissait pour eux de maintenir une certaine structure de la société espagnole, qui assurait leur richesse et leur puissance, et une certaine image de l’Espagne qui leur garantissait une bonne conscience. C’est tout cela que menaçait la république des libéraux, des démocrates, des révolutionnaires; c’est cela que le soulèvement militaire est venu providentiellement restaurer. Il fallait à ce soulèvement un chef, et ce fut Franco; il fallait à Franco une justification qui tînt lieu d’idéologie, et on l’appela franquisme. Vu sous cet angle, le franquisme apparaît ainsi comme une incarnation du conservatisme ; sa raison d’être fut de limiter les changements, en contrôlant l’évolution inévitable de façon qu’elle affecte le moins possible les rapports sociaux et ne déplace pas les vrais centres de décision et de pouvoir. C’est la raison pour laquelle la règle d’or de la pratique franquiste fut l’immobilisme.• 1936; de Franco, n. pr.♦ Partisan du général Franco et de son régime instauré en Espagne en 1936. — Adj. L'Espagne franquiste. — N. m. FRANQUISME .franquismen. m. Doctrine politique du général Franco et des partisans du régime politique qu'il fonda en 1939 en Espagne.⇒FRANQUISME, subst. masc.HIST. Régime politique qui associe les caractères du fascisme et de la dictature militaire (qui en est la forme dominante), instauré en Espagne en 1939 par Franco investi d'une légitimité théocratique de type féodal. Idéologie du franquisme. En ce qui concerne les éléments obscurantistes, dans le franquisme, la composition diffère un peu de celle que l'on observe en Allemagne et en Italie (...) en Espagne il n'y a presque pas d'éléments racistes (S. VILAR, Dictature milit. et fascisme en Espagne, Paris, éd. Anthropos, 1977, p. 190) :• Quoique le franquisme ait eu, dès les débuts, des plans d'industrialisation de l'Espagne, ceux-ci se concrétisent à peine, et pendant les premières vingt années du régime, ce sont les structures agraires qui dominent, combinées avec le capital bancaire, l'ensemble économique espagnol.S. VILAR, Dictature milit. et fascisme en Espagne, Paris, éd. Anthropos, 1977 p. 208.Prononc. :[
]. Étymol. et Hist. [Ca 1945 d'apr. Lar. Lang. fr.]; 1953 (F.-G. BRUGUERA, Histoire contemporaine d'Espagne, p. 444, titre de chap.). Dér. du nom de Franco; suff. -isme; formé sur le modèle de franquiste.
franquisme [fʀɑ̃kism] n. m.ÉTYM. V. 1945; du nom du général Franco, et suff. -isme.❖♦ Doctrine politique, économique du régime de Franco, voisine du fascisme italien. — Par anal. || « L'aile droite d'un nationalisme sud-vietnamien farouchement anticommuniste, une sorte de “franquisme” asiatique » (l'Express, 30 oct. 1972, p. 58).
Encyclopédie Universelle. 2012.